Financé par Association des Jeunes Majeurs en Dynamique
FSELa situation en termes de logement à La Réunion est alarmante. La population connait une croissance démographique constante (+1,5% par an depuis 40 ans comparé à la métropole qui est à 0,6% par an). Cette croissance a un impact sur l’offre des logements. En effet, les besoins en logement ont été multipliés par quatre. De plus, il est constaté une évolution sociologique des ménages réunionnais, qui nécessite d’adapter l’offre à la demande : vieillissement croissante de la population (de 2005-2030 passer de 11% à 24%, augmentation des familles monoparentales (plus d’une famille sur cinq), augmentation des personnes isolés (conséquences du vieillissement et ruptures familiales).
Cette situation de précarité et de pauvreté n'épargne pas les jeunes. Les causes de cette situation sont diverses autant que les parcours de vie qui y amènent. Il ressort tout de même plusieurs éléments de constat : une rupture de liens (avec les parents, avec le conjoint, les proches, les amis), rupture géographique (on quitte une ville pour une autre), rupture dans le rapport au monde du travail et/ou scolaire (licenciement, intérim, formations sans lendemain), rupture résidentielle (passage du logement à la rue, de la rue au squat, puis le foyer), jusqu’à la rupture avec soi-même (dépression, tentative de suicide, consommation d’alcool et/ou de toxiques, etc.). La rue est leur principal espace de vie, et la marche incessante d’un endroit à un autre leur permet non seulement de palier à l’ennui mais aussi de croire qu’ils font avancer leur situation. Même s’il y a pour la plupart l’idée de « s’en sortir », on observe une attitude très ambivalente vis-à-vis de la gestion des contraintes et de la prise de responsabilité : difficulté à respecter les horaires, les règlements, l’attente dans les administrations, de devoir effectuer les démarches, et paradoxalement, l’expression d’un besoin « d’être cadré ». Il existe en fait une vraie souffrance, liée à l’ennui, l’absence d’utilité sociale et d’identité, la solitude, l’isolement, découlant d’une succession de ruptures. Ils ont souvent été confrontés très tôt à des conflits ou à des formes d’abandon de la part de la famille. Ayant atteint un âge limite au-delà duquel l’institution ou la famille d’accueil ne peuvent plus les prendre en charge, les jeune majeurs peuvent se trouver confrontés à la nécessité d’une vie autonome qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer. Il s’agit aussi de jeunes sortants de prison, d’hôpital. On observe là un dysfonctionnement de ces institutions qui ne prennent pas en compte le moment où les jeunes cessent d’être sous leur responsabilité. Pour certains de ces jeunes, la pauvreté "héritée" peut se cumuler aux carences des institutions. Ils ont des parcours scolaires chaotiques (en moyenne le niveau inférieur au BEP). Certains ont quitté l’école sans diplôme, beaucoup ont décroché au collège. Pour eux, l’enseignement proposé par l’école est hermétique et inadapté, et les solutions alternatives n’existent pratiquement pas ou sont difficilement accessibles. Ce sont des jeunes qui ont « un manque d’enfance » (Violences familiales, placements, aller-retour d’une structure d’accueil à l’autre,…). On compte aujourd’hui des milliers d’enfants aux parcours douloureux, quelles qu’en soient les causes, pour qui le cheminement vers l’âge adulte sera semé d’embûches. De plus, ils « abandonnent » leur corps et leur santé. En effet, les jeunes en difficulté souffrent souvent de troubles multiples, mais n’ont pas conscience des effets négatifs que cela peut avoir sur leur vie ultérieure. Ils souffrent plus souvent que les autres jeunes de maladies liées à la précarité (absences de soins dentaires, maladies de peau). Leurs consommations diverses et variées sont également préoccupantes. Ils sont également sans ressource. Alors qu’ils connaissent un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale, les jeunes adultes de moins de 25 ans n’ont pas accès aux minima sociaux et ne peuvent compter que sur les solidarités familiales. Lorsque celles-ci sont défaillantes, ils sont sans ressources. Enfin, il manque de lieux d’accueil pour les jeunes. Pour les plus fragiles, il manque un chaînon entre l’accueil d’urgence qui leur assure un toit, une douche et un repas, et le centre d'hébergement de réinsertion sociale (CHRS), plutôt pensé pour des adultes, où on leur demande un engagement dans une démarche d’insertion, un projet de vie, la signature d’un contrat pour lequel ils ne sont pas prêts. Certains manquent totalement de repères et ne sont pas en état de se soumettre à des démarches aussi volontaires».
Les différents acteurs réunionnais du secteur social ont constaté, une augmentation de ce public jeune. Lors des différentes réunions partenariales sur la thématique jeune, le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) de la Réunion, les missions locales, le foyer des jeunes travailleurs (FJT), les structures d'hébergement d'urgences, les hébergement en Allocation Logement Temporaire (ALT) jeunes, ont pu recensé la présence de ces jeunes majeurs de moins de 25 ans en situation d’errance, sans solution de logement, sans ressource, sans projet d’insertion professionnelle, avec des conduites addictives et en rupture familiale. Selon les Missions Locales, 60 % des jeunes suivis ont un faible niveau de qualification. En effet, le niveau d’étude des jeunes réunionnais est moins élevés que celui de la métropole : 56,4% ont un CAP/BEP, 24,5% le baccalauréat, et 19,2% un diplôme supérieur au baccalauréat, alors qu’en métropole 39,7% ont un CAP/BEP, 25,1% le baccalauréat, et 35,2% un diplôme supérieur. Ils ne disposent d'aucune ressource et 6% de ces jeunes sont en situation d'hébergement précaire (hébergement amical, centre hébergement, squat,...). Environ 60% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, près de 3 jeunes sur 5. Ils ont été repérés comme un public en grande souffrance pour lequel les solutions actuelles d’hébergement ne sont pas satisfaisantes.
En 2011, l’Association des Jeunes Majeurs en Dynamique (AJMD) a accueilli une soixantaine de jeunes de 18 à 25 ans dans le cadre de l’hébergement temporaire en Allocation Logement Temporaire (ALT). Ce sont des jeunes hommes et femmes orientés par le SIAO, qui proviennent de tout le département. Ils sont en rupture de logement, familial, sans emploi et pour certains d’entre eux, ont connu un parcours institutionnel chaotique. L’accompagnement proposé par les travailleurs sociaux de l’AJMD a permis à certains d’accéder à l’emploi, à la formation rémunérée ou encore au logement. Cependant pour d’autres, l’accompagnement social classique ne répond pas à leurs attentes et leurs besoins. Il s’agit de jeunes qui ont besoin de restaurer des liens, de se reconstruire, de retrouver la confiance et l’estime d’eux-mêmes. Ils sont angoissés pour leur avenir et de ce fait, ont des difficultés à se mobiliser dans un projet. Il est également observé un certain fatalisme chez bon nombre d’entre eux. Leurs difficultés à gérer leur frustration et leur mal être les amènent à adopter des comportements inadaptés : violence physique, verbale, conduites addictives voir pour certains une dépendance qui nécessiterait des soins. Ainsi, pour certains la durée de l’hébergement s’allonge et souvent se termine par une fin de prise en charge ou une sortie non préparée. Cette situation d'exclusion empêche ses jeunes de s'engager dans un parcours de réinsertion sociale et professionnelle.
D'après les données du SIAO de la Réunion, il a été recensé 117 places en centre d'hébergement d'accueil d'urgence (CHAU), 29 places en abri de nuit, 76 places en hébergement Allocation Logement Temporaire (ALT) jeunes. Les dispositifs dédiés au jeunes sont peu nombreux sur le territoire réunionnais, alors que les demandes ne cessent d'augmenter. C'est dans ce contexte que l'AJMD s'est proposé à porter le projet expérimental et innovant Tikazanou destiné à des jeunes majeurs particulièrement marginalisés. En 2012, ce projet a été retenu par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) suite à l'appel à projet " Innovation sociale et dans le champ de l'hébergement et l'accès au logement " , et soutenu par la Direction de la Jeunesse et de la Cohésion Sociale (DJSCS) et la Fondation Abbé Pierre. L'expérimentation démarre en 2013, pour une durée de 3 ans. En 2015, suite à un bilan positif, il s'avère que Tikazanou apporte une réponse à la problématique des jeunes sans projet, sans ressource, en situation d’errance ou de rupture familiale, souvent très désocialisés et peu enclin à se tourner vers des modes d’hébergement et d'accompagnement habituels.
Le projet TIKAZANOU est inscrit dans la mise en oeuvre des orientations générales du Plan Départemental d'Action pour le Logement des Personnes Défavorisées, et du Plan Départemental pour l'Accueil, l'Hébergement et l'Insertion (PDAHI). Depuis 2016, ces deux schéma ont été remplacés par le Plan Départemental pour l'Accès à l'Hébergement et au Logement des Personnes Défavorisées (PDAHLPD).
C'est dans ce cadre que TIKAZANOU propose un hébergement et un accompagnement innovants, complémentaires aux dispositifs existants. Il s'agit d'une nouvelle forme de dispositif qui développe l’accompagnement adapté permettant de lutter contre l’exclusion sociale chronique du public « jeune » à la Réunion. Ces jeunes sont orientés à l'AJMD par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO).
Tout d'abord, TIKAZANOU est un lieu de vie basé sur de la collocation permettant d'accueillir des jeunes femmes et jeunes hommes en situation de grande précarité, sur la commune de Saint Joseph. Imaginé comme un lieu de passage permettant de construire un projet à son rythme, ce « lieu d’accueil » offre, avant tout, un temps de pause et un cadre de vie favorable à l’établissement d’une stabilité. La durée de l'hébergement est adapté en fonction des besoins des jeunes
Tikazanou c'est aussi un accompagnement qui vise à permettre aux jeunes à :
- reprendre des repères simples qui rythment la vie quotidienne ;
- travailler l’image de soi et l’estime de soi ;
- restaurer les relations et réapprendre le « vivre ensemble » ;
- retrouver un épanouissement personnel permettant de se reconstruire
Cet accompagnement global fondé sur des actions individuelles et collectives, et qui a pour but de permettre aux jeunes de retrouver une sécurité, de restaurer des liens, de se reconstruire et de construire un projet. Pour la réalisation de ces actions, l'équipe éducative mobilise toutes ses compétences du domaine du social et adopte une approche pédagogique et relationnelle.
Il s'agit d'un accompagnement social renouvelé et renforcé, approche innovante qui consiste à déconstruire pour reconstruire ensemble. Les jeunes accueillis arrivent bien souvent « formatés », connaissent bien le système, le langage institutionnel, le comportement « adapté » et les réponses à fournir aux éducateurs. Ici nous inversons la démarche, nous partons de ce que nous donnent les jeunes, de ce qu’ils sont et nous construisons l’accompagnement à partir de cela. Nous essayons de bannir de nos postures les comportements et les codes habituels. L’approche relationnelle et pédagogique développée dans le cadre du projet TIKAZANOU repose sur la volonté d’aborder les jeunes autrement que sur la base de simples objectifs contractuels. Le but est de s’attacher à leur apporter une solution différente, prenant en compte leur rythme, leurs attentes et leurs contraintes. Il convient d’abord de « faire » des choses avec eux, en partageant des activités, en soirée ou le week-end, ceci afin de tisser un lien de confiance et de repérer les savoirs être, les compétences qui permettront progressivement un soutien, une orientation et ainsi leur donner une place dans le groupe. C’est à partir de ces préalables que le mécanisme d’échec pourra être enrayé, le désir de se projeter réactivé et le jeune repositionné.
Les jeunes sont donc accompagnés quotidiennement dans l’élaboration progressive de leur projet personnel, mais aussi sur une approche de la socialisation au travers de l’apprentissage de la vie collective, l’organisation de la vie quotidienne, ce qui permet de structurer, peu à peu, la journée et de trouver des repères. L'objectif est de lever les freins qui empêchent tout engagement du jeune dans un parcours de réinsertion sociale et professionnelle.
Les actions individuelles et collectives proposées sont :
la mise en oeuvre d'ateliers et sorties éducatives, culturelles et sportives, en lien avec la thématique de la santé, de l'environnement
la mise en place des échanges de services au sein de la maison
la mise en place des échanges de service auprès de partenaires extérieurs favorise l'insertion par l'activité
Le maillage partenarial. Pour un appui sur des domaines plus spécifiques, l'équipe développe le partenariat avec les structures existantes (institutions de la justice, des professionnels oeuvrant en matière de soins physique et/ou psychologique, lutte contre les addictions, professionnels de la formation et de l'emploi).
Cet accompagnement global, basé sur la pluridisciplinarité, permet d'apporter des réponses les mieux adaptées, aux multiples difficultés rencontrées par les jeunes. C'est ainsi qu'ils vont s'inscrire dans un processus d'inclusion sociale active.
L'objectif de Tikazanou est de permettre les jeunes de 18/25ans en situation de grande précarité ou en rupture sociale à la suite d'exclusion marquées (rupture familiale, passage à la rue, hébergement chez un tiers, sortant de prison,...), ayant le plus souvent des difficultés particulières (conduites addictives, pertes de repères, problèmes psychiques,...) de bénéficier d'un accompagnement global individualisé. L'accès à Tikazanou est un pré requis, un point de départ pour permettre les jeunes à engager un processus de reconstruction et de remobilisation.
Tikazanou constitue un levier de lutte contre la pauvreté en permettant aux publics jeunes, marqués par un fort niveau d'exclusion sociale, de revenir dans un processus d'insertion. C'est un levier de ré-inclusion sociale préalable à toute insertion professionnelle durable. Ainsi, à terme, les jeunes en situation de forte exclusion dans un parcours d'insertion sociale active s'inscriront dans un parcours de réinsertion durable.